Tirer vers l'avant à travers l'hélice.
1914-1915 Claude Thollon-Pommerol

Le tir vers l'avant a " prouvé son efficacité " sur les avions à propulsion, de même que le tir depuis la place arrière par un tireur-mitrailleur pour les avions tractifs biplaces
Cependant ce dernier dispositif surcharge les avions que l'on voudrait alléger pour gagner en vitesse d'évolution et en vitesse d'ascension.
Le commandant Barès a spécialisé pour la chasse en octobre 1914 les monoplans biplaces Morane-Saulnier équipés d'un mousqueton ou d'une carabine. Cet armement paraît bien précaire face aux mitrailleuses allemandes équipant des avions par ailleurs plus rapides.
Il confie à Garros la mission de reprendre la suite des premières expériences de Saulnier.

Paris le 3 novembre 1914
Rapport du Sergent Garros au commandant Girod, directeur de l'Aviation du Camp Retranché de Paris.

Le monoplan offensif
Le monoplace léger, puissant, rapide, est actuellement le seul appareil capable de rattraper rapidement, en distance et en altitude, les avions ennemis, et une fois ces avions rattrapés, de leur imposer, par une maniabilité supérieure, les manoeuvres les plus propices à l'attaque.
Il s'agissait de savoir si l'on pouvait armer pratiquement un monoplace à hélice à l'avant, seul dispositif donnant la vitesse et le rendement nécessaire.
J'ai été chargé des essais du système suivant:
Appareil - Un monoplan "Morane" type "G" de série, Voilure 14 mètres carrés. Cet appareil muni d'un moteur "Rhône" donne une vitesse de 140 kilomètres à l'heure et monte à 1000 mètres en moins de 3 minutes; à 2000, en 7 minutes environ, avec une heure de marche.
Maniabilité - Sa maniabilité est la plus grande réalisable à vitesse égale.
Armement - L'armement consiste en une mitrailleuse légère, type "Hotchkiss", fixée au fuselage dans une position immuable, sous l'oeil du pilote, à portée de da main et tirant en avant dans l'axe de marche de l'appareil comme si l'hélice n'existait pas.
Celle ci est protégée, à la partie qui passe devant la ligne de tir, par un blindage spécial, appelé pare-balles.
Expériences - Les expériences que j'ai faites m'ont appris:
1° - les balles qui frappent le pare-balles et qui sont de ce fait perdues, sans autre inconvénient, sont de l'ordre de 10% des balles tirées. Ainsi le tir utile reste de 90% environ des balles tirées.
Commodité
2° -Il paraît commode en vol de viser un objectif et de le tenir un temps suffisant dans la ligne de mire par les simples manoeuvres de vol (puisque l'arme est fixée selon l'axe de l'appareil); et cela, surtout aux altitudes où l'on est appelé à chasser les avions ennemis et où il est bien rare que l'air ne soit pas calme, même en cas de vent.
Manoeuvre de la mitrailleuse.
3° - La manoeuvre de la mitrailleuse est très simple et se fait assez facilement d'une main d'ailleurs.
a) même s'il fallait deux mains, il y a des dispositions très simples qui permettent sur un "Morane" l'abandon momentané des commandes.
b) même si l'on ne pouvait tirer qu'un chargeur, (30 balles), le plus souvent, cela suffirait, vu la facilité d'approcher l'ennemi très vite, de très près, pour s'en éloigner ensuite très rapidement.

Ce genre d'appareil devrait s'employer ensuite très rapidement. Ce genre d'appareil devrait s'employer pour tirer presque à bout portant comme les torpilleurs en marine.
4° - Le pare-balles absorbe en pure perte une partie de la force du moteur. Mais une partie très faible et non proportionnelle à la force du moteur, de sorte que ce désavantage serait sérieux sur un moteur faible, mais négli-geable avec un 80 HP "Rhône".
Pour fixer les idées, l'appareil, au lieu de faire 140 kilomètres à l'heure et 1000 mètres de hauteur en 3 minutes, ne fait plus que 136 kilomètres à l'heure et 1000 mètres en légèrement plus de 3 minutes.


                                                               

Conclusion.
Mes expériences ont été arrêtées par un accident qui s'est produit au sol et qui aurait été très grave en vol, puisque l'appareil a été presque entièrement détruit. Mais cet accident ne diminue en rien ma confiance dans le principe puisqu'il est dû à la rupture d'une pièce, retenant le pare-balles sur l'hélice: le simple examen de cette pièce, la veille de l'accident, m'avait déjà inquiété sur sa solidité. Sa rupture, sous l'effort de la force centrifuger, a causé l'arrachement du moteur de l'appareil et un tel choc que le fuselage fut entièrement brisé, les réservoirs éventrés, etc....
Cet accident montre seulement qu'il y a lieu de prendre certaines précautions pour renforcer les attaches du moteur, le pare-balles, l'hélice elle-même. Ces renforcements ne rencontrent, du reste, aucune difficulté.
Je me permets d'insister pour que tous les moyens soient mis à ma disposition pour terminer d'urgence la mise au point du Monoplace offensif persuadé qu'aucun autre type d'appareil français ne pourra rendre des services plus précieux et plus variés. Réalisé en type "Parasol" monoplace, il ne sera pas seulement, à mon avis.
a) un incomparable torpilleur aérien: il pourra encore être employé et très avantageusement:
Bombardement - b) pour lancer des obus: par exemple les obus de 90 spécialement empennés que j'ai lancé avec succès d'un "Parasol" biplace, grâce à un dispositif léger et simple et à la grande visibilité qu'offre l'appareil. On emporte très aisément 6 obus avec 3 heures de marche et le voyage aller-retour est sensiblement plus vite achevé qu'avec aucun autre appareil.
Observation d'artillerie -
c) pour l'observation d'artillerie.
Dans tous ces cas, il faut moins de dix minutes pour enlever la mitrailleuse et remplacer l'hélice à pare-balles par une ordinaire, si on juge cette transformation utile.
Conformément aux ordres du Commandant Girod, Chef de l'Aviation du Camp Retranché de Paris.


Télégramme chiffré
de Paris le 26/12 à 19h 52 Chef service aéronautique Camp retranché de Paris à Chef service aéronautique GQG.
Groupes 84
N° 169
Expériences Garros avec acier cémenté, doux, rapide et aciers spéciaux se poursuivent. Nous arrivons à un poids de neuf cent grammes pour monture métallique hélice au lieu de 2 kilos. 500 du début. Le système attache est définitif. Nous ne perdons qu'une balle sur vingt cinq. Nous espérons résultat définitif dans dizaine jours; nous croyons pouvoir réaliser avion armé rapide à 160 à l'heure et 2000 mètres en cinq minutes.


En juillet 1915, à l'occasion de la sixième et dernière victoire de Pégoud, sa tactique d'attaque et l'équipement de son avion sont comparés à ceux de son camarade Gilbert, l'un ayant sa mitrailleuse fixée sur le plan supérieur de son Blériot -Pégoud, le second -Gilbert tirant à travers l'hélice de son Morane avec un système déflecteur de balles (système Garros).
En ce mois de Juillet Gilbert est prisonnier en Suisse depuis un mois. Et Pégoud sera abattu un mois plus tard le 31 août 1915.

Escadrille MS 49
Rapport du lieutenant commandant p.i. l'escadrille MS 49, au sujet d'un avion ennemi descendu par un pilote de l'escadrille.
Le 11 juillet, à 7h 30, l'adjudant Pégoud de service part en chasse à la suite du renseignement venu des premières lignes qu'un appareil ennemi survolait Dannemarie. Il pilote un monoplace Nieuport 80 HP, mitrailleuse Hotchkiss sur le plan supérieur.
Vers 8 heures survolant la région, il aperçoit un Aviatik venant de la direction de Bale et se dirigeant sur lui. Il essaye de l'attirer dans nos positions sans y parvenir, l'avion ennemi se contentant de suivre la ligne du front sans s'aventurer chez nous. Pégoud engage alors le combat à 2.500m au-dessus des tranchées de première ligne en l'attaquant par dessous
L'observateur ennemi qui est à l'avant, très gêné pour se servir de sa mitrailleuse qui tire vers l'arrière et non en dessous n'a aucune précision dans son tir malgré les virages à gauche et à droite qu'il fait exécuter à son pilote. Ne pouvant se servir utilement de sa mitrailleuse, il tire alors avec un fusil automatique sans plus de succès.
L'adjudant Pégoud arrive à ce moment à environ 50m au-dessous, commence alors à tirer sa première bande de mitrailleuse de 25 cartouches en tirant 5 coups par 5 coups.

Avant même que la bande ne soit complètement tiré, l'appareil pique verticalement, des flammes se dégageant de dessous l'appareil. Il décrit ensuite une petite spirale vers Altkirch, puis il pique de nouveau verticalement complètement en chute et vient s'écraser sur la route de Dannemarie à Altkirch, entre Altkirch et les voies ferrées, au nord de cette ville, où les débris restent très visibles sur la route.
Pendant le combat, l'adjudant Pégoud était descendu jusqu'à 1500m au dessus des lignes allemandes, il était aussitôt après le combat fortement canonné par l'artillerie ennemie, mais sans résultat.
Les débris de l'Aviatik sur la route sont visibles de nos lignes, et notre artillerie lourde de Dannemarie prend immédiatement sous son feu, le rassemblement ennemi provoqué par cette chute.
Au dire de Pégoud, l'Aviatik présentait toutes les caractéristiques de l'avion abattu par Gilbert, mitrailleuse tirant vers l'arrière et probablement aussi vers l'avant. Vitesse d'environ 126 Kms.
Le Nieuport piloté par Pégoud est revenu sans aucune atteinte, ce hardi pilote s'est donc affirmé une fois de plus aussi habile manoeuvrier que courageux soldat. Signé Quillien.
Avis du Chef du Service aéronautique de la 7ème armée.

Le combat aérien du 11 juillet est extrêmement intéressant par les conclusions qu'il permet de tirer. L'expérience est en effet probante: tandis que le Morane avec mitrailleuse tirant dans l'hélice a le grave inconvénient d'exiger que le pilote qui prend en chasse un avion ennemi se mette dans le champ de tir de ce dernier (et on sait que le tir en retrait de l'Aviatik est des plus redoutable) le biplan Nieuport, au contraire, grâce à sa mitrailleuse tirant de bas en haut, avec une grande possibilité de déplacement dans le plan vertical, permet
l'attaque par en-dessous, c'est à dire dans la direction la plus désavantageuse pour l'Aviatik. Une fois sous le fuselage de son adversaire, et réglant sa vitesse sur la sienne, le pilote français tire à coup sûr en se maintenant dans l'angle mort.
Cette appréciation est basée sur des faits; tandis que Gilbert au cours de ses 3 combats aériens en Alsace est revenu chaque fois avec son appareil criblé de balles, le Nieuport de Pégoud est rentré absolument indemne, bien que son adversaire ait essayé de se défendre.
Les conclusions du combat du 11 juillet sont donc des plus instructives, et il y aurait lieu de les communiquer à toutes les escadrilles de chasse. Elles sont des plus réconfortantes, car elles montrent que l'aviation française possède dans le biplan Nieuport avec mitrailleuse tirant de bas en haut, un appareil qui peut s'attaquer avec de grandes chances de succès à celui que nos adversaires nous opposent depuis 2 mois comme le dernier cri de l'aviation de combat.
Le 13 juillet 1915, signé Voisin.

L'avenir donnera tort au capitaine Voisin.
Le système de synchronisation du tir et du passage de l'hélice qui remplacera les déflecteurs s'imposera sur tous les appareils de chasse, sur les Nieuport, sur les Spad, mais aussi sur les Breguet XIV du bombardement de jour.

Eugène GILBERT
Adolphe PEGOUD

 

Victoires en combat
Roland Garros
1er avril 1915 Albatros Westcapelle
15 avril 1915 Aviatik Ypres
2 octobre 1918 Fokker Sainte Marie à Py
Eugène Gilbert
2 novembre 1914 Taube Lignes allemandes
17 décembre 1914 Non identifié Albert-Bapaume
10 janvier 1915 Aviatik C Chaulnes
7 juin 1915 Non identifié Lignes allemandes
17 juin 1915 Biplace St. Amarin
Adolphe Pégoud
5 février 1915 Taube Grand Pré
5 février 1915 Aviatik C Montfaucon
5 février 1915 Aviatik C Montfaucon
3 avril 1915 Biplace Somme-Bionne
3 avril 1915 Aviatik C Châlons-sur-Marne
11 juillet 1915 Aviatik C Altkirch

 

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