Résumé de la conférence donnée le 27 mars 2004 à la Slhada sur le "Concorde"

par M. Claude-Alain SARRE

 

Qu'on le veuille ou non, Concorde, dont on doit maintenant parler au passé, restera dans l'histoire de l'Aviation comme le symbole d'une extraordinaire réussite technique mais aussi comme celui d'un non moins extraordinaire échec commercial. A qui doit on imputer cet état de fait ? Aux décideurs politiques ? Aux industriels ? Aux pays producteurs de pétrole ? Aux passagers ? Aux compagnies aériennes ou encore aux Américains ? La réponse est multiple mais bien dles idées reçues sont mises à mal par Claude-Alain SARRE. Son travail d'historien fait apparaitre à travers les tonnes de documents brassées et les centaines de mètres de linéaires d'archives consultés que la vérité est pour le moins complexe.

Concorde a été imaginé par des industriels comme un moyen-courrier; puis sa définition a évolué par la volonté des Anglais - fournisseurs incontournables des réacteurs - vers celle d'un long-courrier. Les industriels n'ont fait que leur travail qui est de répondre aux programmes émis par les compagnies ou par l'Etat. En l'occurence il faut bien souligner que seul l'Etat était demandeur. On ne peut donc reprocher aux industriels l'échec commercial du Concorde. Seule la technique est de leur responsabilité. Encore qu'on puisse avancer l'argument selon lequel ce qui a été fait était bien fait mais ne suffisait pas à faire un avion pleinement réussi (Note du rédacteur). La Direction Technique et Industrielle (l'Etat), avec à sa tête l'Ingénieur Général Louis BONTE qui fut un remarquable directeur du Centre d'Essais en Vol, a lancé l'appel d'offres et Valéry Giscard d'Estaing, alors jeune secrétaite d'Etat aux Finances a débloqué les premiers crédits. Il avait le choix entre le futur Concorde et le lancement d''une "Grosse Julie" qu'appelait de ses voeux Air France. Les compagnies aériennes n'ont pas été intéressées par un supersonique car elles jugeaient l'avion trop cher à l'achat et d'une rentabilité même pas aléatoire tant il leur semblait évident qu'elle serait négative. Aucune ne commanda de Concorde pas même Air France ni BOAC, future British Airways, à qui les gouvernements français et anglais "offrirent" les seuls14 avions de série qui furent construits et que le contribuable paya intégralement.

A la grande satisfaction des Français et des Anglais qui voyaient là un moyen d'appâter les compagnies Américaines au vol commercial supersonique et ainsi d'amorcer le cycle des commandes, les Américains lancèrent un projet concurrent en mettant à l'étude leur SST. Ils étudièrent d'abord un avion à géométrie variable puis se convertirent à l'aile delta fixe. Ils arrêtèrent les frais -et c'est bien le cas de le dire- lorsqu'il considérèrent l'aspect financier de l'affaire. Par ailleurs l'Etat Américain, contrairement à ce qu'on croit généralement, ne fit jamais rien pour nuire au Concorde. En revanche les aéroports de New York (PONYA: POrt of New-York Authority) firent le maximum pour barrer la route au supersonique européen.

De leur côté, les Russes mirent en chantier puis en production le Tupolev 144 qui ne fut pas une réussite techniquement parlant et qui ne connut pratiquement pas le service commercial régulier.

Les passagers de Concorde, eux, ne rentabilisèrent pas l'avion en ne le remplissant jamais suffisamment. Mais peut on classer les passagers parmi les responsables de l'échec commercial ? Quant aux pétroliers, s'il est de bon ton de leur attribuer l'échec de l'avion, il faut quand même noter que le retrait des options placées par les compagnies aériennes intervint avant le premier choc pétrolier.

Alors que Concorde venait de faire son premier vol et que les essais débutaient, le Jumbo Boeing 747 arriva sur le marché en 1971. Il apportait aux compagnies l'avion dont elles avaient besoin. C'était la "Grosse Julie" chère à Joseph ROOS directeur d'Air France au moment du lancement du programme Concorde. Le 747 offrait une grosse capacité, il exploitait une formule aérodynamique éprouvée, pouvait être exploité à des coûts raisonnables, et donc, la clientèle serait facile à trouver. Ce serait naturellement celle des Boeing 707 et des Douglas DC-8 de la première génération de jets commerciaux. La suite des évènements montra que c'était là la bonne option.

Malgré tous ces indices, on continua.

Alors ? Il semble bien que plusieurs facteurs aient milité en faveur de la poursuite du programme aux différents stades de son avancement malgré les nuages noirs qui s'amoncelaient. Les Politiques n'eurent pas le courage de l'arrêter lorsqu'ils envisagèrent les conséquences sociales que cela pourraient générer. Les Français exigèrent des Anglais qu'ils tiennent leurs engagements lorsque M. Wilson voulut retirer la Grande Bretagne du programme. Paradoxalement, si ce fut une victoire de De Gaulle sur les Anglais de les contraindre à continuer, cela l'aurait pourtant bien arrangé d'être obligé de renoncer au projet pour cause de rupture de contrat de l'autre partenaire. Car le Général n'était pas le plus chaud partisan de l'aventure ainsi qu'en témoignent ces déclarations "privées" rapportées par A. Peyrefitte: " Bon, bon, très bien, faisons le Concorde. Je m'étais pourtant habitué à l'idée qu'on ne le ferait pas, qu'on ferait quelque chose de plus rentable, de plus commercial. Nous ne pouvons plus reculer puisque les Anglais ne reculent pas" (1965) et encore d'un ton résigné: "on ne peut pas faire autre chose que de poursuivre" et enfin: "Ce Concorde est un gobe-millions. Si on abandonne, il faudra recaser les gens et on ne saura pas où les mettre" (1966). De son côté Georges Pompidou (premier ministre), laissera échapper en 1967: "Le Concorde est une erreur grandiose". Enfin, Pierre Messmer, Ministre des armées, dont dépendait la DTI à l'origine du programme, déclarait en 1967: "L'Airbus sera un bon appareil que l'on vendra en série avec bénéfice. Ce n'est pas une entreprise hasardeuse comme le Concorde".

Malgré cela, Concorde a volé. Il a été exploité et a suscité un rare engouement de la part des populations. Son accident de Gonnesse le 25 juillet 2000 puis son retrait définitif au printemps 2003 ont été vécus comme des deuils nationaux de part et d'autre de la Manche. Mais ses handicaps l'ont tué. Parmi ces derniers ont peut citer son autonomie trop faible pour exploiter une autre ligne intercontinentale que Paris ou Londres-New York, le bruit au sol et surtout l'interdiction de voler en supersonique au dessus des terres, ce qui lui fit perdre une bonne partie de son attrait. A cela on peut ajouter le prix du billet qui fut un facteur déterminant pour le remplissage des avions ainsi que les horaires peu propices aux "affaires" surtout dans le sens Etats-Unis - Europe.

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Le conférencier

Claude - Alain SARRE, licencié ès lettres (histoire) a travaillé plusieurs années à dépouiller les archives et rencontrer les acteurs de cette aventure technologique, commerciale et politique. Il a publié les résultats de son enquète dans "Le dossier vérité du Concorde 1959 / 2000" aux Editions Aéronautiques.

Le 27 mars 2004, répondant à l'invitation de la SLHADA, il est venu raconter sa vision des choses et nous montrer ce qu'est le travail d'un historien.

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